Vous avez été plusieurs à me manifester le plaisir de découvrir le même air, « Che faro senza Euridice » de GLUCK, interprété soit par une voix de contralto (femme) soit par une voix de contre-ténor (homme). Voici donc un petit point sur la ressemblance et la différence entre ces deux voix.
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Dans les registres vocaux de la voix humaine (cf. la tessiture), la voix de contralto est la voix la plus grave des femmes alors que la voix de contre-ténor (ou haute-contre) est la voix la plus aiguë des hommes. En pratique, il peut y avoir recouvrement voire dépassement, et un contre-ténor dans les aigus chantera plus haut qu’une contralto dans les graves.
Voyons ce que nous dit le volume « Musique » de l’Encyclopédie de DIDEROT et D’ALEMBERT (en respectant l’orthographe de l’époque).
Contralto, mot italien qui répond à notre mot haute-contre, mais les deux voix ne sont pourtant pas les mêmes, & leur diapason est assez différent. Le contralto italien est exécuté par des castrati à qui l’âge a rendu la voix plus grave ou par des femmes qui ont particulièrement cultivé les cordes (vocales) basses, & qui sont proprement, ce que nous appellons des bas-dessus.
La haute-contre, au contraire est la voix d’un homme dans toute l’étendue du terme, à qui la nature a donné une voix claire & s’élevant facilement dans le haut. Plusieurs, pour parvenir aux sons les plus aigus, sont obligés de forcer leurs moyens naturels en se resserrant le gozier; mais ils perdent ainsi en agrément(*) ce qu’ils gagnent en étendue, car ces sons étranglés manquent de douceur et de pureté.
À considérer le diapason de la clef d’ut qui sert aux deux espèces de voix, il est évident que ce sont les Français qui emploient la véritable haute-contre, & que les contralti italiens ne sont que des second-dessus… mais cette voix, les italiens l’appellent tenore sans la distinguer de cette autre dont le son est plus grave et plus nourri… On en peut donc conclure que les Italiens ne connaissent pas leurs chœurs la haute-contre, & qu’ils lui ont substitué le second-dessus, en continuant de le nommer contralto. Quelle peut en être la raison ? Je n’en vois pas d’autre que cette foule de malheureux castrati qui abondent en Italie, & qui, à un certain âge, ne sont plus en état de chanter le dessus. Comme le chant est néanmoins leur unique ressource, on a taché d’en tirer parti, & on les a placés dans le chœur, en leur donnant une partie de second-dessus analogue à leur voix…
Les hommes qui chantent le fausset, participent aux deux voix, & peuvent servir de liaison entre la haute-contre française et le contralto italien.
(*) agrément : On appelle ainsi dans la musique française certains tours de gosier & autres ornements affectés aux notes qui sont dans telle ou telle position, selon les règles prescrites par le goût du chant.
Voilà, c’est un peu technique, excusez-moi, mais j’adore me plonger dans ces vieux livres écrits presque en vieux françois !
Que retenir de cela ? Surtout et déjà qu’entre les Français et les Italiens, il n’y avait pas accord (ce qui est un comble pour des musiciens) sur les appellations des voix. Il faut dire qu’à l’époque de l’Encyclopédie, la Querelle des Bouffons n’était close que depuis peu de temps (disons une trentaine d’années). Cette querelle visait à trancher laquelle, de la musique française ou de la musique italienne, était le plus à même de porter l’émotion par le chant. RAMEAU défendait les couleurs de la musique française alors que JJ.ROUSSEAU défendait la musique italienne.
La Querelle des Bouffons étant partie d’une représentation de la Servante maîtresse de PERGOLÈSE en 1752, je vous propose d’écouter l’œuvre phare de ce musicien mort à 26 ans : le Stabat Mater, interprété ici par une soprano et un haute-contre.
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250 ans plus tard, que peut-on encore dire sur ce sujet ?
Au XVIIIe siècle, il y avait encore une tradition assez forte « d’opérer » avant la puberté de jeunes garçons pour en faire des castrats (castrati en italien), qui gardaient ainsi une voix très aiguë. Dans les opéras, les rôles de femmes pouvaient être chantés par des hommes, les fameux castrats, alors que les rôles de très jeunes gens (typiquement des pages au service de la noblesse) pouvaient être chantés par des femmes.
Ceci peut s’illustrer par exemple dans le Jules César en Égypte de HAENDEL, où le rôle de César étant interprété à l’origine par un castrat doit de nos jours être chanté par un contre-ténor ou par une femme. Ceci nous donne le très beau duo « Son nata a lagrimar » entre César et Cornélie, où la voix d’homme est au-dessus de la voix de femme.
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De même dans Orlando furioso de VIVALDI, le rôle d’Orlando (Roland) étant chanté par un castrat est aujourd’hui chanté par une contralto.
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Pour ce qui est des rôles de jeunes hommes, l’exemple le plus connu est certainement celui de Chérubin, dans les Noces de Figaro de MOZART.
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Cette tradition de rôle travesti dure au moins jusqu’à Richard STRAUSS, puisque dans son Chevalier à la Rose (Der Rosenkavalier), le rôle d’Octavian, le jeune amant de la Maréchale, est chanté par une femme.
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