En poésie ou au théâtre, la scansion est l’art de scander un texte, et en musique celui de marquer le rythme.
J’ai déjà abordé sur ce blog les notions de base du rythme musical, en me limitant au deux plus simples, les rythmes binaires et ternaires.
On peut introduire des perturbations dans ces rythmes de base. Ainsi, dans un rythme binaire, on peut introduire un triolet, c’est-à-dire un ensemble de 3 notes qui aura exactement la même durée que les 2 notes du binaire.
Dans un rythme ternaire, on peut décomposer deux mesures ternaires en trois sesqui-mesures binaires. Ça s’appelle une hémiole, et on rencontre fréquemment dans la musique baroque.
Cliquez sur l’hémiole
Il y a encore tout un tas d’autres rythmes, aux noms plus rigolos les uns que les autres, et qui auraient bien leurs places dans un Agenda Ironique.
Par exemple, nous avons l’anacrouse. L’anacrouse est une note ou un ensemble de notes qui précède le premier temps fort d’une phrase musicale. On l’appelle aussi la levée.
Cliquez sur l’anacrouse
Nous avons aussi l’anapeste, qui correspond à deux notes courtes suivies par une note longue. Un exemple d’anapeste est le 1er mouvement de la Symphonie 40 de Mozart.
Cliquez sur l’anapeste
Il ne fait pas confondre l’anapeste avec son opposé, le dactyle, qui lui est composé d’une note longue suivie de deux brèves.
Un exemple de dactyle se trouve dans le deuxième mouvement de la septième Symphonie de Beethoven.
Cliquez sur le dactyle
Il y a aussi le spondée, une succession de deux valeurs longues, le procéleusmatique, ou tétrabraque, est une succession de quatre valeurs brèves, et l’amphibraque, qui correspond à une valeur longue encadrée par deux valeurs brèves.
Le contraire de l’amphibraque est l’amphimacre, soit une valeur brève encadrée par deux longues.
Un exemple d’amphimacre se trouve chez Messiaen, avec l’Allouette calandrelle.
Cliquez sur l’amphimacre
Et pour rester avec Messiaen, et parce que le thème de base de cet article était le jeudi de l’Ascension, retrouvez l’œuvre qui porte ce nom.
Après La Terre est bleue, de Paul Éluard, le poème « mis en musique » de ce mois est « Le Quai lembour », de Raymond Queneau. Ce poème est paru dans le recueil Courir les rues (éditions Gallimard, 1967).
(Rappel du principe de ces « mises en musique » : je prends un poème parmi mes préférés, et j’illustre les images évoquées par ce poème par des citations musicales en rapport [pour moi] avec ces images.)
Après Réception d’Orion, de René Char, le poème « mis en musique » de ce mois est La terre est bleue, de Paul Éluard. Ce poème est paru en 1929.
(Rappel du principe de ces « mises en musique » : je prends un poème parmi mes préférés, et j’illustre les images évoquées par ce poème par des citations musicales en rapport [pour moi] avec ces images.)
La terre est bleue comme une orange
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Jamais une erreur les mots ne mentent pas Ils ne vous donnent plus à chanter Au tour des baisers de s’entendre
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Les fous et les amours Elle sa bouche d’alliance Tous les secrets tous les sourires Et quels vêtements d’indulgence À la croire toute nue.
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Les guêpes fleurissent vert L’aube se passe autour du cou Un collier de fenêtres
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Des ailes couvrent les feuilles Tu as toutes les joies solaires Tout le soleil sur la terre
Après Démons et merveilles, de Jacques Prévert, le poème « mis en musique » de ce mois est Réception d’Orion, de René Char. Ce poème est paru en 1975.
(Rappel du principe de ces « mises en musique » : je prends un poème parmi mes préférés, et j’illustre les images évoquées par ce poème par des citations musicales en rapport [pour moi] avec ces images.)
Après La Beauté, de Charles Baudelaire, le poème « mis en musique » de ce mois est Sables mouvants, de Jacques Prévert. Ce poème est paru en 1942 dans le film Les Visiteurs du soir, de Carnet et Prévert, avec une musique de Kosma.
(Rappel du principe de ces « mises en musique » : je prends un poème parmi mes préférés, et j’illustre les images évoquées par ce poème par des citations musicales en rapport [pour moi] avec ces images.)
Démons et merveilles Vents et marées Au loin déjà la mer s’est retirée
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Et toi Comme une algue doucement caressée par le vent
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Dans les sables du lit tu remues en rêvant
Démons et merveilles Vents et marées Au loin déjà la mer s’est retirée Mais dans tes yeux entrouverts Deux petites vagues sont restées
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Démons et merveilles Vents et marées Deux petites vagues pour me noyer
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Citations musicales :
Vents et marées : DebussyLa Mer, « Dialogue du vent et de la mer ».
Doucement caressée par le vent : Mozart, Idoménée , « Zéphyr léger et charmant » (« Zeffiretti lusinghieri »).
Nous venons d’apprendre la mort, le 5 décembre 2024, du polymathe oulipien Jacques Roubaud, mathématicien, écrivain et poète, spécialiste des troubadours et/ou du sonnet.
Jacques Roubaud naît le 5 décembre 1932 à Calluire, dans le Rhône.
Il démarre des études littéraires, qu’il interrompt assez tôt. En 1944, il publie un premier recueil de poésies, Poésies juvéniles.
Laissant tomber les études de lettre, il se tourne vers les mathématiques, qu’il enseigne à Rennes, puis à l’université de Paris-Nanterre. Dès lors, des aspects formels mathématiques apparaissent dans son œuvre littéraire, rendant indissociables ces deux aspects de sa personnalité.
En 1966, Roubaud entre à l’Oulipo sous le parrainage de son ami Raymond Queneau. La trilogie de La belle Hortense (1985) est d’ailleurs une « suite » du roman Pierrot mon ami, de Queneau. Roubaud est également proche de Georges Perec, avec qui il écrit un Traité invitant à la découverte de l’art subtil du jeu de Go. À l’Oulipo, Roubaud est le créateur de la fameuse contrainte « Tout texte bâti suivant une contrainte doit contenir la description de cette contrainte ». Dans La Disparition, Perec se sert de textes écrits par Roubaud, dont le sonnet liminaire de ce roman, sonnet qui décrit, respectant ainsi le principe de Roubaud, la contrainte que Perec s’est imposée pour son gigantesque lipogramme en E.
Jacques Roubaud se marie en 1980 avec la photographe Alix Cléo, qui meurt en 1983. Roubaud transpose sa peine au travers de Quelque chose noir et du premier volume de son grand œuvre, Le Grand Incendie de Londres.
Le Grand Incendie de Londres (1989) est la première branche d’une sorte d’autobiographie qui en comprend six. Suivront La Boucle (1993), consacré à ses souvenirs d’enfance, Mathématique (1997) où il nous parle de ses liens avec Bourbaki et où il rend hommage à son maître Hadamas, Dans Poésie (2000), il revient à un autre de ses centres d’intérêt, puisque Roubaud, outre sa somme sur les poèmes des troubadours, a exploré la forme du sonnet et de l’alexandrin. La branche cinq, La Bibliothèque de Warburg (2002), Impératif catégorique (2008) constitue la deuxième partie de la branche 3 (Mathématique) et enfin la sixième branche, La Dissolution (2008).
En 1991, la compositrice Kaija Saarihao met en musique les Échanges de la lumière, et en 2004, elle écrit pour le violon Graal théâtre, d’après la pièce de Roubaud et Florence Delay.
En 2002, Roubaud travaille avec le compositeur François Sarhan pour qui il écrit la Grande Kyrielle du sentiment des choses.
En 2021, Roubaud est lauréat du prix Goncourt de la poésie pour l’ensemble de son œuvre.
Jacques Roubaud meurt le 5 décembre 2024 à Paris, à l’âge de 92 ans.
En hommage à Jacques Roubaud, je vous propose une lecture orientée de l’Ode à la ligne 29 des autobus parisiens (2014), un formidable exercice de style oulipien.
Dans l’ode à la ligne 29 … (2014), il décrit ainsi tout ce qu’un voyageur qui emprunte de bout en bout cette ligne d’autobus peut observer.
C’est ainsi que, très vite, partant de Saint-Lazare, il passe par l’opéra (Garnier), où il évoque Falstaffou Don Juan.
Page 43, il passe par l’avenue E. Reyer, compositeur post-wagnérien auteur des opéras Sigurd et Salammbô.
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Page 48, il est bien question à nouveau d’opéra, mais il s’agit de la pâtisserie qui porte ce nom, et dédiée aux petits rats de l’opéra.
Page 66, il évoque Beaumarchais, et page 69, à propos d’Apollinaire, il cite « Le fleuve est pareil à ma peine, il s’écoule et ne tarit pas », du poème Marie si bellement mis en musique par Francis Poulenc.
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Page 70, il arrive à Bastille, dont il évoque l’opéra. Page 80, se rappelant son éducation musicale, il cite Bach, Beethoven, Mozart et les airs de Haendel, et poursuit page 81 avec les « contemporains » Brahms, Debussy, Bartok, Schoenberg et Webern.
Page 92, il cite le Fairy Queen de Shakespeare, mis en musique par Purcell,
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et enfin, arrivé vers le bout de la ligne, il arrive à l’arrêt Ravel dont il cite le Concerto pour la main gauche, écrit pour le pianiste Paul Wittgenstein.
(Rappel du principe de ces « mises en musique » : je prends un poème parmi mes préférés, et j’illustre les images évoquées par ce poème par des citations musicales en rapport [pour moi] avec ces images.)
Je suis belle, ô mortels ! comme un rêve de pierre,
Cliquez sur l’homme de pierre
Et mon sein, où chacun s’est meurtri tour à tour, Est fait pour inspirer au poète un amour Éternel et muet ainsi que la matière.
Je trône dans l’azur comme un sphinx incompris ; J’unis un cœur de neige à la blancheur des cygnes ;
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Je hais le mouvement qui déplace les lignes, Et jamais je ne pleure et jamais je ne ris.
Les poètes, devant mes grandes attitudes, Que j’ai l’air d’emprunter aux plus fiers monuments, Consumeront leurs jours en d’austères études ;
Car j’ai, pour fasciner ces dociles amants,
Cliquez sur la nuit paisible et sereine des amants
De purs miroirs qui font toutes choses plus belles :
Cliquez sur le miroir
Mes yeux, mes larges yeux aux clartés éternelles !
(Rappel du principe de ces « mises en musique » : je prends un poème parmi mes préférés, et j’illustre les images évoquées par ce poème par des citations musicales en rapport [pour moi] avec ces images.)
— Va-t’en, me dit la bise.
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C’est mon tour de chanter. — Et, tremblante, surprise, N’osant pas résister,
Fort décontenancée Devant un Quos ego, Ma chanson est chassée Par cette virago.
Cliquez sur la virago
Pluie. On me congédie
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Partout, sur tous les tons. Fin de la comédie. Hirondelles, partons.
Grêle et vent. La ramée Tord ses bras rabougris ; Là-bas fuit la fumée,
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Blanche sur le ciel gris.
Une pâle dorure Jaunit les coteaux froids. Le trou de ma serrure Me souffle sur les doigts.
(Rappel du principe de ces « mises en musique » : je prends un poème parmi mes préférés, et j’illustre les images évoquées par ce poème par des citations musicales en rapport [pour moi] avec ces images.)
Mes bouquins refermés sur le nom de Paphos,
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Il m’amuse d’élire avec le seul génie Une ruine, par mille écumes bénie Sous l’hyacinthe, au loin, de ses jours triomphaux.
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Coure le froid avec ses silences de faulx, Je n’y hululerai pas de vide nénie
Cliquez sur la déploraison funèbre
Si ce très blanc ébat au ras du sol dénie À tout site l’honneur du paysage faux.
Ma faim qui d’aucuns fruits ici ne se régale Trouve dans leur docte manque une saveur égale : Qu’un éclate de chair humain et parfumant !
Le pied sur quelque guivre où notre amour tisonne, Je pense plus longtemps peut-être éperdument À l’autre, au sein brûlé d’une antique amazone.
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Citations musicales :
Paphos : Rameau Pygmalion « Ouverture ». Paphos était un des deux enfants que Pygmalion avait eu avec sa sculpture, dont il était tombé amoureux.
L’hyacinte : Duparc, L’Invitation au voyage, mise en musique du poème de Baudelaire.
Vide nénie : Monteverdi Le couronnement de Poppée, « Non morir, Seneca » (la nénie est un chant funèbre de l’Antiquité)
Un éclate de chair humain : AboulkerDouce et Barbe-bleue. Qui d’autre que l’ogre Barbe-Bleue pour apprécier cette chair humaine et parfumée ?
Amazone : Rameau Hippolyte et Aricie, Duo Phèdre et Hippolyte « Ma fureur va tout entreprendre ». (Hippolyte était le fils de Théseé et d’une amazone).
Et si vous voulez lire ce poème sans être encombré par mes élucubrations musicales :
Après Marine, de Paul Verlaine, le poème « mis en musique » de ce mois est Mignonne, allons voir si la rose (1545) extrait de l’Ode à Cassandre de Pierre de Ronsard.
(Rappel du principe de ces « mises en musique » : je prends un poème parmi mes préférés, et j’illustre les images évoquées par ce poème par des citations musicales en rapport [pour moi] avec ces images.)
Mignonne, allons voir si la rose
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Qui ce matin avoit desclose Sa robe de pourpre au Soleil, A point perdu ceste vesprée
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Les plis de sa robe pourprée, Et son teint au vostre pareil.
Las ! voyez comme en peu d’espace, Mignonne, elle a dessus la place Las ! las ses beautez laissé cheoir ! Ô vrayment marastre Nature, Puis qu’une telle fleur ne dure Que du matin jusques au soir !
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Donc, si vous me croyez, mignonne, Tandis que vostre âge fleuronne En sa plus verte nouveauté, Cueillez, cueillez vostre jeunesse :
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Comme à ceste fleur la vieillesse Fera ternir vostre beauté.