Ursule Mirouët est un roman de Balzac qui fait partie, dans la Comédie humaine, des Scènes de la vie de Province. Si je vous en parle sur ce site consacré à la musique et à la littérature, c’est d’abord parce que c’est un très bon roman et aussi parce que Balzac se sert de la musique pour décrire les états d’âme de l’héroïne, Ursule Mirouët.
Le pitch : Dans une petite ville de province (Nemours), le vieux docteur Minoret se retire avec sa pupille Ursule Mirouët. Sa fortune, qu’il veut laisser à Ursule après sa mort, attise la convoitise de sa famille, qui réussit à voler et détourner l’héritage. Ursule aime Savinien de Portenduère, un héritier de la noblesse ancienne, mais la mère de Savinien ne veut pas d’une mésalliance dans sa famille. Pauvre Ursule !
On trouve les deux personnages d’Ursule Mirouët et de Savinien de Portenduère dans Béatrix, du même Balzac.
Très vite, on apprend que, « dans sa jeunesse, le docteur (Minoret) épousa par amour… la fille du fameux claveciniste Valentin Mirouët, une célèbre musicienne, faible et délicate… (page 784). Cette musicienne s’appelait Ursule Mirouët, comme notre héroïne. La jeune Ursule se trouve être la petite-fille du beau-père du docteur Minoret« .
Cette filiation est expliquée page 812 : « Le beau-père du docteur, le fameux claveciniste et facteur d’instruments Valentin Mirouët, un de nos plus célèbres organistes, était mort en 1785… À son lit de mort, il n’eut pas la consolation, de voir cet enfant gâté. Chanteur et compositeur, Joseph Mirouët, après avoir débuté aux Italiens sous un nom supposé, s’était enfui avec une jeune fille en Allemagne… Joseph Mirouët, doté par la nature d’une voix séduisante… et par-dessus tout compositeur plein de goût et de verve, mena pendant quinze ans cette vie bohémienne que le Berlinois Hoffmann a si bien décrite… Il s’établit à Hambourg où il épousa la fille d’un bon bourgeois, folle de musique, qui s’éprit de l’artiste« .
Ursule était une jeune fille très pieuse, qui s’était donné pour mission de conduire son tuteur à l’église. Le docteur avait pour ami le juge de paix et le curé de Nemours, avec qui ils avaient l’habitude de jouer au tric-trac. Un jour, Ursule se joignit à eux et gagna. Pour la remercier, Minoret se décide enfin à lui payer des cours de piano (page 819) : « le lendemain, Minoret, qui jusqu’alors avait refusé de faire apprendre la musique à sa pupille, se rendit à Paris, y acheta un piano, prit des arrangements à Fontainebleau avec une maîtresse et se soumit à l’ennui que devaient lui causer les perpétuelles études de sa pupille… La petite fille devint excellente musicienne… Les incrédules n’aiment pas la musique, céleste langage développé par le catholicisme, qui a pris les noms des sept notes dans un de ses hymnes : chaque note est la première syllabe des sept premiers vers de l’hymne à Saint-Jean.«
Dans Ursule Mirouët, Balzac consacre de nombreuses pages à ce qu’on appelait à l’époque le « magnétisme animal » et aux théories du célèbre magnétiseur Mesmer. (page 821) : « Vers la fin du XVIIIe siècle, la Science fut aussi profondément divisée par l’apparition de Mesmer, que l’art le fut par celle de Gluck… Mesmer eut donc des adeptes et des antagonistes aussi ardents que les piccinnistes contre les gluckistes.«
Page 831, alors que le docteur va voir une « somnambule » pour savoir ce que pense sa pupille, celle-ci lui annonce, à propos d’Ursule pensant à Savinien : « Voici ce qu’elle pense : « Si je chantais bien, si j’avais une belle voix, quand il sera chez sa mère, ma voix irait bien jusqu’à ses oreilles. » C’est donc bien par le chant qu’Ursule espère conquérir le cœur de Savinien.
Page 841 : « Pendant que sa filleule jouait à son parrain des variations sur la Dernière Pensée de Weber…«
Page 847-848 : La famille du docteur Minoret, voyant l’emprise qu’a la jeune Ursule sur le docteur, se décide à aller chez lui et tenter de le charmer. C’est l’occasion pour Balzac de montrer la bêtise crasse de la famille : « On nous dit que votre filleule a un si beau talent sur le forte , que nous serions bien enchantées de l’entendre. Mme Crémière et moi sommes disposées à prendre son maître pour nos petites; car s’il avait sept ou huit élèves, il pourrait mettre le prix de ses leçons à la portée de nos fortunes…
Volontiers, dit le vieillard, et cela se trouvera d’autant mieux que je veux aussi donner un maître de chant à Ursule.«
Page 870 : « L’abbé Chaperon entendit en entrant le son du piano. La pauvre Ursule achevait la symphonie en la de Beethoven… Plus la musique est belle, moins les ignorants la goûtent… Ah ! voilà ce qui coûte si cher, dit Mme Crémière à Mme Massin.
Dieu me garde de donner de l’argent pour que ma petite fille me fasse des charivaris pareils dans la maison, répondit Mme Massin.
Elle dit que c’est du Béthovan, qui passe cependant pour un grand musicien, dit le receveur, il a de la réputation.
Ma foi, ce ne sera pas à Nemours, reprit Mme Crémière, et il est bien nommé Bête à vent…
Il faut que M. le juge de paix aime bien jouer pour entendre ces sonacles, dit Mme Crémière.«
Lors de la première rencontre entre Savinien et Ursule, le charme de la musique agit déjà puisque Savinien déclare (page 878) : « J’espère, monsieur le docteur, que vous me recevrez chez vous; j’aime la musique, et je me souviens d’avoir entendu le piano de Mlle Ursule.«
Pages 890-891, Balzac nous livre un étonnant aveu de l’impuissance des mots à transmettre certaines émotions que seule la musique peut permettre de communiquer : « Il arrive souvent qu’un morceau pauvre en lui-même, mais exécuté par une jeune fille sous l’empire d’un sentiment profond, fasse plus d’impression qu’une grande ouverture pompeusement dite par un orchestre habile. Il existe en toute musique, outre la pensée du compositeur, l’âme de l’exécutant, qui, par un privilège acquis seulement à cet art, peut donner du sens et de la poésie à des phrases sans grande valeur. Chopin prouve aujourd’hui pour l’ingrat piano la vérité de ce fait déjà démontré par Paganini pour le violon.
Ce beau génie est moins un musicien qu’une âme qui se rend sensible et qui se communiquerait par toute sorte de musique, même par de simples accords. Par sa sublime et périlleuse organisation, Ursule appartenait à cette école de génies si rares; mais le vieux Schmucke, le maître qui venait chaque samedi et qui pendant le séjour d’Ursule à Paris la vit tous les jours, avait porté le talent de son élève à toute sa perfection. Le Songe de Rousseau, morceau choisi par Ursule, une des compositions de la jeunesse d’Hérold, ne manque pas d’ailleurs d’une certaine profondeur qui peut se développer à l’exécution; elle y jeta les sentiments qui l’agitaient et justifia bien le titre de Caprice que porte ce fragment… Savinien pénétra donc dans ce délicieux royaume, entraîné par ce cœur qui, pour s’interpréter lui-même, empruntait la puissance du seul art qui parle à la pensée par la pensée elle-même, sans le secours de la parole, des couleurs ou de la forme.«
Par l’effet de calomnies, Ursule croit que Savinien va se marier avec une autre, et se réfugie dans la musique. Et c’est par la musique que l’ignoble Goupil, qui voudrait se marier avec Ursule, essaye de la conquérir (page 944) : « … Ursule joua du piano fort tard, elle se coucha presque rassurée et accablée de sommeil. À minuit environ, elle fut réveillée par un concert composé d’une clarinette, d’un hautbois, d’une flûte, d’un cornet à pistons, d’un trombone, d’un basson, d’un flageolet et d’un triangle…«
Page 945 : « La sérénade était, à ce qu’il paraît, charmante ! Il y avait un cornet à pistons ! – Qu’est-ce qu’un piston ? – Un nouvel instrument de musique ! … Trois jours après, au milieu de la nuit, trois violons, une flûte, une guitare et un hautbois donnèrent une seconde sérénade… il lut cette terrible prophétie : Tu n’épouseras pas Ursule. Si tu veux qu’elle vive, hâte-toi de la céder à celui qui l’aime plus que tu ne l’aimes ; car il s’est fait musicien et artiste pour lui plaire, et préfère la voir morte à la savoir ta femme.«
Je ne vais pas vous raconter la fin, pour ne pas divulgacher l’histoire, mais je peux quand même dire que Balzac nous réserve une fin étonnante, avec l’apparition d’un fantôme !
(Source principale : La Comédie humaine, Ursule Mirouët, bibliothèque de la Pléiade, volume III, éditions Gallimard 1976.)






Comme quoi quand on pense bien connaitre ses classiques on s’aperçoit que nos connaissances sont parsemées de lacunes ! Bon dimanche Jean-Louis
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